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Les rapports des adolescents à la musique actuelle
article paru en Septembre 2007

Par Albena Ivanovitch - Lair, auteure de livres pour les enfants, formatrice d’éveil sensoriel par la musique.
 

La place de la musique chez les jeunes est un phénomène que l’on ne peut ignorer. A l’occasion de notre rencontre - débat, le thème des musiques populaires est pour nous le moyen de montrer le caractère indissociable de la musique dans la vie des jeunes. C’est aussi une tentative de comprendre mieux la « culture jeune ».

Après un bref panorama de la musique actuelle et son origine (blues, gospel, rock…) l’intérêt est d’étudier chez les jeunes les motivations qui orientent leurs goûts musicaux.

Premièrement, comment pourrait-on définir le terme de « musiques actuelles » ?

Parler de musiques actuelles revient à évoquer tout à la fois le jazz, le rock, le hip-hop, le reggae, la chanson ou encore la techno...

Le terme « musiques actuelles » est généralement associé à la culture jeune, elle-même systématiquement identifiée à la période de l’adolescence. Cette association est d’importance capitale.

L’adolescence correspond à une période de différenciation et de recherche d’identité. Il s’agit d’un travail de négociation entre le soi, l’individu et les autres groupes. L’adolescence est une période qui précède l’âge adulte, où l’on se construit une identité autour d’une « tribu », d’un style musical.

Le partage d’un signe fait référence à une culture, une tribu, une famille. Les cheveux « rasta », les piercings, les vêtements en cuir sont tous des signes d’identification, le « look » renvoie à un comportement qui est parfois marginal, souvent provocateur. Ainsi la notion de « musiques actuelles » est d’abord associée à une culture, à une attitude non-conformiste, souvent rebelle et contestataire. Déjà dans les années 60 le folk rock protestataire a eu ses stars : Joan Baez, Bob Dylan, Léonard Cohen – engagés dans la lutte contre la guerre du Vietnam. Aujourd’hui il n’est pas rare que les artistes s’engagent pour une cause politique ou humanitaire.

De quelle façon les médias peuvent-ils influencer les choix musicaux ?

L’écoute musicale a commencé à se spécifier et à se personnaliser grâce à des évolutions technologiques importantes. La radio portable connaît une véritable expansion dès 1954. Avant il était très difficile pour un adolescent d’écouter de la musique de manière personnalisée et intime. On était généralement dans le salon familial, et il n’y avait pas vraiment d’écoute personnalisée. Il y a eu ensuite le juke-box et le transistor. L’adolescent a donc pu avoir sa radio dans sa chambre, et ainsi commencer à développer des idées, des comportements et un style.

Les comportements liés à des écoutes musicales sont nés avec les médias, il est évident que les médias les influencent.

La télévision a eu la fonction de nous raconter ce que font les autres jeunes dans le monde et principalement aux Etats-Unis. Cela a créé tout un jeu d’imitations et de références communes. Les stars américaines sont devenues des stars mondiales bien avant qu’on parle de la mondialisation.

Aujourd’hui, pour la première fois dans l’histoire, la musique se regarde. Les chaînes musicales qui diffusent les clips vidéos véhiculent des modèles de tenues vestimentaires, de styles de danses, etc … Les artistes sur l’écran influencent-ils le comportement des jeunes jusqu’à leur « look » ?

Oui, la musique actuelle a aujourd’hui une image – hier c’était les cheveux longs, les blousons de cuir, aujourd’hui le style « Lolita » des « star-académiciennes ». Mais plus important encore, la musique est devenu un énorme business, un marché mondial. Il faut avoir le bon T-shirt, les baskets à la mode, bref le bon « look ». Et cela rapporte.

La musique est constamment présente, dans la vie des jeunes. Pourquoi cette place prédominante ?

La réponse est très simple :

La musique fait partie des langages universels, et les codes qui découlent de ce langage permettent une très large interprétation et réception très profonde. Dans la musique c’est l’émotion qui prime. Ce n’est n’est pas un hasard si le thème principal de la chanson populaire est l’amour. La musique est indissociable de l’affectif, de la relation à l’autre. La musique est un art très communicatif, très social. Elle procure un plaisir qui est d’ailleurs ambivalent et qui consiste à être en soi et en même temps hors de soi, donc en dehors de la réalité quotidienne.

Mais la musique peut également être le support et l’expression de la violence, de la révolte, de l’agressivité…

La musique heavy metal et underground rend-elle suicidaire, la musique est-elle responsable de certaines violences urbaines ?

Éric Lacourse s’est posé cette question et en a fait le sujet de sa thèse de doctorat. « Non, répond-il. Ces mouvements musicaux se nourrissent du désespoir et de la rage des jeunes, mais ne les engendrent pas. »

Les données recueillies auprès de 275 adolescents montréalais ne montrent pas de façon significative l’existence d’un lien de cause à effet entre la préférence musicale et le fait d’avoir une personnalité suicidaire. Un lien indirect semble toutefois exister. "Les jeunes âgés de 15 à 18 ans qui aiment le heavy metal ou le underground manifestent des caractéristiques associées au développement de tendances suicidaires, affirme le chercheur. Plusieurs d’entre eux consomment de la drogue et affichent une propension à l’isolement. Souvent, ils ont une piètre estime d’eux-mêmes et ressentent un sentiment d’impuissance."

Plus ils accordent d’importance à ces courants musicaux, plus les jeunes ont tendance à vénérer les idoles de l’heure. Or, selon M. Lacourse, plus un jeune admirateur s’identifie à un groupe, plus il est enclin à intégrer son discours. « La vénération pourrait être un meilleur élément de prédiction du comportement suicidaire que le style de musique », a-t-il dit.

Idoles et identification aux pairs

Les rock-stars sont les vraies idoles de notre époque. Exclusivement de sexe masculin, ils sont de véritables héros populaires : par leur origine sociale souvent modeste, ils sont devenus des stars médiatiques grâce à un talent et à une présence scénique spectaculaire. Certains musiciens se comportent sur scène comme des « volcans sonores », avec un jeu scénique démesuré et une virtuosité hors du commun.

Notons que les grandes stars sont très souvent des guitaristes ou des chanteurs (jamais des pianistes ou des batteurs). Ils sont objets de culte et constituent des modèles pour les ados du monde entier. Jimi Hendrix malgré sa mort tragique en pleine gloire garde toujours son immense popularité tout comme Eric Clapton, Jimmy Page, Van Halen etc. Leur légende continue de se transmettre.

Adeptes du style « blouson de cuir et tatouage sur le biceps » ou « boucle d’oreille » ou encore « croix gammée et coiffure à la Mohawk », les adolescents ont une tenue vestimentaire qui correspond à leurs préférences musicales. À travers la musique, ils peuvent exprimer la rage et le désarroi partagés par les membres d’un même groupe d’appartenance.

À l’adolescence, où le développement de l’identité est davantage influencé par les valeurs des pairs que par celles des parents, l’importance d’avoir l’air différent et la provocation amènent souvent les fans à calquer les comportements de leurs idoles. Le 8 avril 1994, le célèbre chanteur et guitariste Kurt Cobain, du groupe Nirvana, a été retrouvé mort, une balle dans la tête. « Au Québec, les médias ont rapporté trois ou quatre cas de suicides chez les jeunes qui s’étaient identifiés à l’artiste », affirme Éric Lacourse. Aux États-Unis, plusieurs jeunes ont imité son suicide dans les semaines suivantes.

« Un amalgame de facteurs doit être considéré dans l’analyse des tendances suicidaires. Aucune variable prise isolément ne peut être la seule explication », soutient le chercheur. Cependant, le choix musical et son taux de consommation peuvent indiquer une prédisposition à avoir un comportement suicidaire.

« Si d’autres facteurs de risque s’ajoutent, constate Éric Lacourse, les parents ont probablement raison de s’inquiéter. » Un adolescent déprimé qui consomme de la drogue et s’enferme dans sa chambre pour écouter 15 heures par jour de la musique destroy pourrait être suicidaire. Mais cela ne fait pas de tous les adeptes de cette musique des suicidaires.

D’Elvis à Eminem

Ce n’est pas d’hier qu’on reproche aux mouvements musicaux marginaux d’inciter les adolescents à avoir des comportements déviants. Dans les années 1950, les gens étaient outrés par la musique rock and roll et les déhanchements d’Elvis Presley. Aujourd’hui, le rappeur blanc Eminem, des groupes de rapp, de rock gothic, Metalica, écoulent des millions de disques où ils chantent et ils hurlent des scènes de viol et de meurtre. Nombreuses créations anglo-saxonnes expriment la violence ou la provocation. La violence fait partie de l’univers des jeunes, le monde urbain n’est pas tendre.

Le problème est le manque d’idéal de la génération, qui amène les jeunes à emprunter la route de la désinvolture et de la révolte, faute de pouvoir donner un sens à la vie. La musique est en quelque sorte le miroir de notre société et de ses problèmes. La consommation de drogues, les familles éclatées, le VIH, le chômage, font partie de notre triste réalité. Nombreux artistes sont issus des familles pauvres et éclatées, avec une scolarité chaotique, un passé marginal qui influence leurs créations musicales. S’il y a quelque chose qui doit être bannie, ce n’est pas la musique marginale mais plutôt ces problèmes de société.

Nous avons commencé notre rencontre par une question ouverte « dites ce que la musique représente pour vous ». Les termes proposés par le public sont : « détente », « émotion », « loisir », « évasion », « divertissement », « plaisir »…

Nous avons vu que pour les adolescents la musique c’est aussi « identification », « indépendance », « communication »… Autant de termes permettant l’émancipation et l’affirmation de soi.

Quelle est notre attitude en tant que parents et professionnels face au fait musical ?

Nous pouvons inciter l’adolescents à prendre ses distances face à la mode, à la vénération d’une idole, l’aider à avoir une position critique, bref lui donner une autonomie vis-à-vis de la stratégie commerciale dont il est l’objet. Mais la musique restera la forme artistique la plus privilégiée chez les jeunes pour se démarquer, pour constituer un repère, un style et une identité.
 
 
 
Vos réactions à cet article
 
Message envoyé par b0SamueL0b le 10/9/2011
+z$8frZdyL%68pSU/:>w<:E3.lG-!XIB

 
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