|
Quand
j’étais jeune je ne voulais pas composer. Mon
père qui était mon seul professeur en musique
(violon, harmonie, analyse, histoire, composition, orchestration),
me disait souvent: «François, tu devrais composer!»
Je trouvais cela ridicule. «Comment? Moi, entrer dans
cet aréopage de grands maîtres? Jamais. J’ai
trop de respect pour eux!» Quand j’étais
à Bruxelles, où je suivais toutes les classes
d’écriture avec le plus grand intérêt,
je pensais toujours: «jamais». Ce que je désirais
c’était de pouvoir analyser plus profondément
les œuvres que je jouais pour mieux les comprendre
et les interpréter. Au concours d’harmonie
(très sérieusement organisé: chaque
candidat enfermé 12h dans une salle du Conservatoire
pour réaliser une mélodie et une basse données
!) j’ai remporté un premier prix avec «grande
distinction». Mes camarades me poussaient aussi à
la composition et je répondais: «Etre obligé
d’écrire contre ma nature avec des règles
avant-gardistes dictées par l’Ecole de Paris!
Jamais, j’aime mieux m’abstenir!»
De retour en Suisse, où selon la
tradition familiale j’ai commencé à
diriger des chœurs, il y avait tant d’œuvres
mal écrites et conventionnelles, que nous étions
obligés d’étudier pour participer à
des fêtes de chant, que je me suis mis à en
écrire moi-même. Mais toujours en disant: «je
ne me veux pas compositeur»! Cela a duré des
années. Beaucoup trop longtemps! J’ai pourtant
gagné tous les concours de Cantonales avec inscription
anonyme. Même une fois chez les Fribourgeois, en changeant
mon écriture (!) j’ai reçu le premier
prix pour chœur d’hommes et le premier prix pour
chœur mixte, à la grande surprise du jury! Par
la suite j’ai écrit sur une commande un concerto
pour orgue, orchestre à cordes et percussion. Ce
morceau a eu beaucoup de succès et a été
joué dans plusieurs villes par divers organistes.
C’est ce qui m’a encouragé à accepter
la commande de la Cantonale bernoise et à écrire
un oratorio. Je l’ai accepté dans l’esprit
«quitte ou double»: je veux voir si j’en
suis capable. Ce fut Clameurs du Monde et un succès
international : inscription dans l’encyclopédie
«Oratorien der Welt» du Prof. Pahlen de Vienne,
engagement des Concert-Club de Zürich pour 1991, etc.
Dès lors j’ai pris confiance en moi…
Composer était difficile à
toutes les époques et dans toutes les civilisations.
En Suisse romande c’est peut-être plus facile
au niveau populaire, car chaque canton est chauvin et encourage
ses propres chantres. C’est un bien pour les jeunes
parmi lesquels, parfois, de vrais talents se découvrent.
Au niveau musique sérieuse et symphonique, c’est
une catastrophe, car toutes les médias, les associations
et organisations de concerts, etc. sont maniées par
les avant-gardistes. Une véritable mafia internationale
qui étouffe tout ce qui ne suit pas leur credo. Plusieurs
compositeurs m’ont dit: «Si on n’écrit
pas avant-garde on n’est pas joué». Triste
époque, où le talent, l’originalité
et le métier ne comptent pas.
Si l’on entend musique d’avant-garde
pour musique contemporaine il est totalement faux de dire
qu’elle s’impose naturellement aujourd’hui.
Cela fait partie du bourrage de crâne de la «Secte
Boulez»! Bien sûr qu’il faut reconnaître
les acquis de milliers de chercheurs, d’inventeurs
de nouveaux timbres et systèmes d’écriture
dans notre monde occidental. Une poignée de vrais
compositeurs ont écrit dans ce domaine des œuvres
intéressantes, même passionnantes. J’ai
bien connu Christophe Penderecki en Pologne dans les années
70 et il était parmi les plus grands. Il était
cependant troublé par le tournant pris par la musique
20 ans après la guerre. Il a prouvé son désarroi
en reprenant la tonalité dans plusieurs de ses œuvres
ultérieures, aux grands cris de l’intelligentsia
internationale. Il est vrai que le malaise est grand. D’un
côté, un public sincère voudrait pouvoir
écouter et comprendre une musique de son temps, mais
y renonce désabusé à l’écoute
de la laideur et de la monotonie informe. De l’autre
des compositeurs-intellos se proclament seuls représentants
de la vérité artistique et dédaignent
tout compromis. Dans son livre REQUIEM POUR UNE AVANT-GARDE
Benoît Duteurtre, ancien collaborateur de France-Musique
et grand connaisseur de toute la production contemporaine,
écrit: «Une certaine pensée musicale
ne tourne-t-elle pas en rond depuis un demi-siècle,
sans perspective, sans public, sans réussite marquante,
parce qu’elle demeure fondée sur des bases
erronées: rupture artificielle avec le monde «tonal»
(dans son sens le plus large), foi dévote dans la
science, l’acoustique ou le micro-intervalle?»
Que les chanteurs romands toujours si enthousiastes
et persévérants ne se laissent pas décourager
par ces querelles de musiciens. Le principal pour eux est
de chanter joyeusement et avec émotion la musique
qu’ils aiment, sans complexe et avec toujours la même
assiduité.
Quant à moi, compositeur hors normes,
je garde mon indépendance, (quitte à rater
des contrats), mais me réjouis de témoignages
comme ceux de ce couple d’esthètes venu à
moi après l’exécution fin décembre
au Casino de Berne de mon concerto de violon La Clairière:
«Merci, Monsieur Pantillon, nous avons entendu pour
la première fois depuis longtemps de la musique contemporaine
que nous aimons!». |
|